Musique, compagne incommode

Le vin dissipe la tristesse. C’est une assertion un peu bête de Hamlet. Pas celui de Shakespeare, non, mais celui d’Ambroise Thomas. C’est un peu sot d’ailleurs de chanter ça – et Hamlet l’entend finalement au second degré – car pour la moitié des éthyliques, le vin – loin de dissiper la tristesse – l’amplifie, la larde de violence et d’amertume. La musique, par contre, dissipe-t-elle la tristesse ? Peut-on, en se passant une plage très langoureuse de Mozart, comme le mouvement lent d’un quatuor à cordes, en se glissant dans un bain chaud, avec peut-être un verre de vin et une lumière appropriée, peut-on espérer d’elle qu’elle mette une sourdine à nos inquiétudes et à nos tourments ?

Sans rentrer dans un débat trop vaste, la musique a-t-elle l’empire de nous délester de quoi que ce soit ? Chacun – ici – aura sa petite idée. Peut-être vous, qui nous écoutez, en route pour l’enterrement de votre grand-mère et qui avez en tête le quatrième mouvement de la quatrième symphonie de Mahler considérerez que cette incarnation musicale de la vie éternelle vous aidera à mesurer plus doucement la morsure de votre perte. Sincèrement, dans le meilleur des cas, je pense que la musique n’agit jamais que comme un amplificateur. Qu’elle n’est d’ailleurs pas une amie, mais une compagne. Et peut-être même de ces compagnes incommodes qui, loin de vous prendre dans leurs bras quand la solitude vous gagne, pointent sous votre nez ce qui justement est douloureux.

La musique, en plus, non contente d’être cette compagne ingrate, porte en elle des kilos de nostalgie, drague dans son sillage un million de souvenirs – parfois heureux, parfois malheureux. Rien ne l’en dépare, comme ces taches d’encre sur une chemise qui, dès leur apparition la condamnent à la poubelle. La musique est une capsule mémorielle qui renferme tout ce qu’elle a côtoyé dans nos existences ; elle est pense-bête, elle est aide-mémoire, elle est ces médaillons qui garnissent les tombes et que le temps délave jusqu’à l’ossuaire. Elle est du bal musette qui un jour fit rêver cette jeune femme, ayant le lendemain vu partir à la guerre celui qui n’en reviendrait pas et dont des décennies plus tard l’audition inattendue d’une valse à trois temps qui la vit s’unir lui percera le cœur pour la laisser comme morte.

La musique parfois dissipe les nuages, est ce premier rayon qui dégivre le sol, permet à l’herbe roide de relever la tête ; quelques notes suffisent, un souvenir heureux vous délie les entrailles, une légèreté inouïe vous inonde. C’est là qu’elle est amie. Musique de printemps, qui ne soulage pas, mais qui murmure un peu, presqu’imperceptiblement, qu’au-delà du vacarme, de la pluie qui s’abat en torrents sur les villes, de l’isolement de chacun, de la mort qui nous guette, il existe ce bruit, qu’inventèrent les hommes, ce bruit vertigineux, ce bruit de communion, ce bruit qui a la force – absurde et insolente – d’être la promesse de lendemains radieux.

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