L’Allemagne nazie, ses camps, ses Obersturmführer, sa solution finale auront également tué parmi les musiciens. Le pauvre Erwin Schulhoff, juif communiste et homosexuel tombé à Weissenburg, Hans Krasa et Victor Ullmann à Auschwitz, Gideon Klein à Fürstengrube. Le ténor Joseph Schmidt, lui, pourtant juif, pourtant décédé en 1942, pourtant talonné par les nazis, n’en fut que la victime indirecte. Mais on y reviendra. À l’entendre, on ose à peine ce terrible cliché : il y a dans sa voix comme la prémonition des malheurs du peuple juif. Il y a la Shoah, il y a theresienstadt, il y a le gros ventre de Goering, il y a l’art dégénéré. Il y a son propre destin. Et une fois avoir dit cela, on le regrette déjà, tant la figure littéraire semble balourde, galvaudée, indécente. Mais c’est pourtant la stricte vérité. On en arriverait à se demander si la voix de Joseph Schmidt nous semble lardée d’aussi tragiques attributs parce qu’on en connaît le destin ou si le bronze de cette voix est effectivement un peu du socle de ce drame. Mais revenons en arrière. Joseph Schmidt naît en 1904 à Davideny, une ville qui porte en elle toute la confusion de l’Europe du beau siècle : d’abord austro-hongroise, ensuite roumaine, ensuite ukrainienne. Joseph Schmidt s’éveille au chant dans la pittoresque synagogue de Czernovitch, mise à sac et brûlée par les nazis en 1942, aujourd’hui transformée en cinéma, il en fut d’abord membre du chœur puis cantor, la foule de fidèles roumains, ukrainiens ou austro-hongrois se pressant pour entendre le prodige leur dispenser l’auguste enseignement. Face à de si évidentes prédispositions, ses parents le confient à un illustre professeur, Hermann Weissenborn, dont on ne sait presque plus rien aujourd’hui, sinon qu’il a un homonyme virtuose de guitare hawaïenne. Joseph Schmidt est un miracle, sa voix a toutes les qualités de la création : couleur terrienne, accents mélancoliques, aigus rayonnants. Il fait ses débuts en 1929 dans le rôle de Vasco de Gamma. Il lui reste 13 ans à vivre, 13 ans pour établir une légende. Joseph Schmidt est un nabot, il mesure 1m50, il a la santé fragile, il est poitrinaire, peut-être même phtisique. On ne le verra presque jamais fouler les planches d’un théâtre. C’est donc une carrière dans les studios qui l’attend. La radio lui offre cette voie. Il enregistre à tour de bras jusqu’à ce que le cinéma lui ouvre ses portes où des plans flatteurs lui prêteront même une allure de milord, d’élégant jeune premier. Si ses films aujourd’hui ne font pas les beaux soirs de nos médiathèques, il flotte derrière certains titres comme un parfum de mystère et de frivolité « Heut ist der schönste Tag in meinem Leben » ou encore « Der Liebesexpreß ». Bientôt les nazis le font déguerpir, il trouve refuge en Hollande et en Belgique où il est accueilli en héros. C’est en France que la chance tourne. Avec Vichy, c’est l’exode qui commence, comme un chemin de croix qui le conduira aux portes de la Suisse salutaire, pays de toutes les promesses. Ironie du sort, c’est là qu’il trouvera la mort, parqué dans le camp de Gyrenbad où le travail forcé et les conditions de vie déplorables auront vite fait de venir à bout de son cœur exsangue. Il s’éteint à 38 ans le 16 novembre 1942. 62 ans plus tard, l’Allemagne lui imprima un timbre, de 55 centimes.
Publié par camille de rijck
Camille De Rijck lance en 1999 le site Forumopera.com dont il est, aujourd’hui encore, directeur de la publication. Le site est le premier média francophone consacré à l’opéra et compte environ 180.000 visites mensuelles. Co-directeur artistique du label Cypres de 2006 à 2015 il intervient en qualité de producteur exécutif sur des enregistrements de La Monnaie, de José van Dam et de l'Opéra de Paris. Dans ce cadre, il produit et rassemble l’ensemble des enregistrements du compositeur Philippe Boesmans dont il est l’un des grands spécialistes. Sur Musiq3 – chaîne classique et culture de la RTBF – il produit et anime Chambre avec vue chaque jour de la semaine ainsi que La Conversation. Sur cette même chaîne on le retrouve chaque lundi à 8h35 pour Le Moment Musical. Sur La Première (RTBF) il est chroniqueur culturel dans l'émission Déclic. Entre 2014 et 2019 il présente chaque année le Concours Musical International Reine Élisabeth à la télévision et à la radio. Il réalise de nombreux portraits et documentaires radiophoniques, notamment sur l'écrivain américain Paul Bowles. Il est collaborateur des hebdomadaires Le Vif / L'Express et Diapason où, depuis 2018 il réalise de grands portraits d'artistes. Il écrit de nombreuses notices discographiques pour Harmonia Mundi, La Dolce Volta, NoMadMusic, Deutsche Grammophon, Hyperion, et Naïve. Il écrit des textes pour La Monnaie, l’Opéra National de Paris et le Festival International d’Aix-en-Provence. Il publie en 2017 un livre d'entretiens avec Christophe Rousset (« Pour que l'instrument chante » / Philharmonie de Paris) et, à l'occasion de ses 70 ans, un livre d'entretiens avec Philippe Herreweghe (Phi). Il est avec Sylvain Fort directeur de collection de Via Appia, livres sur la musique développée au sein du groupe Humensis. Paraîtront dans ce cadre un livre de René Jacobs sur Mozart et un livre de Jean-Guihen Queyras sur les Suites de Bach. En 2019, il donne des conférences à l’Université de Bologne et à l’Université de Genève sur le journalisme musical. En 2020 il intervient devant la classe de direction musicale d’Alain Altinoglu au CNSDMP dans le cadre d’un media training. En 2020, il devient professeur à l’Institut Royal de Musique et de Pédagogie (Namur) où il anime un classe de séminaires et d'introduction au cinéma. Camille De Rijck est Chevalier des Arts et des Lettres de la République Française. Voir tous les articles par camille de rijck