Les secrets d’Héléna Bourdelle

Que sait-on d’Héléna Bourdelle ? Qu’elle est cette immense cantatrice, jadis gâtée par les foules, qui vit désormais recluse loin de ses adorateurs. Qu’elle a décidé de se taire, face à la barbarie des hommes et que – de la fange ignoble de la France occupée – elle a soustrait son instrument. Elle est ce rossignol que les frimats teutons ont réduit au silence.

Cela, elle nous l’assène, moralisatrice. Les quelques notes que l’on surprend à sortir de ses lèvres ne sont pourtant pas belles. Bien-sûr, elles brisent la coupe de champagne du Maréchal von Apfelstrudel, prétendument par l’effet enchanteur de leur pureté. Le dignitaire en reste comme interdit. Et si c’était l’effroi inspiré à ses tympans, la tétanie qui les saisit face à ce charivari infernal qui fissure le cristal par la crispation des doigts gradés ?

Héléna Bourdelle se trahit quand le maréchal interrompt son aria. « Même votre führer a fait la queue devant ma loge à Bayreuth quand j’y chantais Carmen ». Apfelstrudel est sans doute trop inculte, ou trop peu mélomane, pour savoir que Bizet n’a jamais mis les pieds à Bayreuth et qu’on n’y joua jamais la moindre note de Carmen. En fait, Helena Bourdelle est une mythomane multirécidiviste.

Une scène, surtout, la confond. Apfelstrudel, remis de ses émotions s’installe au piano et chante sa jeunesse en versant de chaudes larmes. Un souvenir l’émeut, en particulier : celui de la danseuse leste qui enfourchait une banane géante en chantant des hymnes tyroliens. La compagnie, elle, dansait des farandoles « en vomissant partout ». Mais l’œil de La Bourdelle, à ce récit, se fige. Il prend peur. Il se vitrifie. Car Apfelstrudel a bien sûr reconnu en Helena Bourdelle l’objet de son émotion adolescente. Et cela n’a pas échappé à la fausse cantatrice qui ne peut rien répondre d’autre que « je raffole de ce genre de soirées », promettant au Maréchal que son silence lui vaudra la caresse qu’il attend depuis si longtemps. Le nain Enrique, qui passait par là, sera étranglé dans une malle et subséquemment réduit au silence.

Laisser un commentaire