Les bottes du gauleiter

C’est dans Le Livre de ma mère qu’Albert Cohen raconte sa rencontre avec un camelot. Que vend le jeune homme blond dans les rues ? Sont-ce des savonnettes ? Franchement, je ne me souviens plus. Albert, enfant, est fasciné par la verve et par la beauté du vendeur ambulant. Il l’écoute, il boit ses paroles. S’approchant de lui, prêt à lui tendre ses pauvres et rares petites pièces, le camelot l’arrête et devant tout le monde le traite de juif et le prie de partir. Noli me tangere.

S’habitue-t-on jamais au racisme ? Encore moins sans doute quand il frappe un enfant. L’arbitraire prend des allures monstrueuses quand il touche à l’innocence.

Un ami d’origine algérienne me disait l’autre jour – alors qu’il s’apprêtait à donner un concert dans une salle marseillaise – qu’une dame était entrée dans la billetterie (qu’y faisait-il lui-même, je l’ignore) et s’était enquise du programme. « Oh, avait-elle dit, il n’est pas très français ce nom ». Sans acheter de place, bien-sûr.

Dupont Lajoie habite aussi les salles de concert et il y a parmi les cheveux bleus qui les garnissent de sacrés demeurés. C’est une surprise qui ne devrait pas en être une.

Un jour chez ma coiffeuse, quand j’étais adolescent, j’avais confié à cette vieille blonde être allé avec mes amis aux obsèques de Lubna Ben Aïssa, petite fille enlevée, violée et massacrée par un pompiste. Celui-ci disposa son corps à l’intérieur d’une malle métallique, dans la dépendance sordide de son commerce, où l’odeur de térébenthine déjà piquait les yeux. « Oui, me dit-elle, je comprends que vous y soyez allés » puis, prenant son élan, elle avait ajouté « je suppose que c’est un enfant comme les autres après tout ». J’en étais resté interdit.

On soupçonne ses frères humains d’intentions odieuses. En 2012 au Kunsthistorisches Museum de Vienne j’avais tenu la porte à une très vieille dame en manteau de vison. « Tiens, avais-je dit à mon ami, sans doute a-t-elle un jour agité un drapeau nazi dans les rues de la ville, où s’ébrouaient les bottines du Gauleiter von Schirach ». Réflexion idiote. La vieille dame fut peut-être l’une de celles que le gauleiter voulut débusquer et exterminer.

On se souhaiterait parfois plus fin, plus intelligent. Et la bassesse nous habite hélas avec autant d’opiniâtreté que les racistes de tous poils. S’il nous arrivait de comprendre pourquoi les a priori jouissent de ce blanc-seing au fond de nos cœurs tristes, peut-être saisirions-nous un peu plus clairement notre humaine condition ?

Suite à la publication de cette entrée sur mon blog, une amie m’écrit ceci : « Quand j’étais petite, je jouais dans ma rue à Boifsfort avec mes jouet en bois, à l’époque le quartier était encore un village calme et paisible. Le voisin d’en face jardinait gentiment à mes côtés, il s’est approché de moi, m’a regardé et m’a dit: « tu n’as vraiment pas la tête à avoir tué le christ » j’avais 7 ans. Je n’ai jamais oublié cette phrase. »

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