Venise à triple tour

Quand elle eut fini de tourner – fortune faite – Greta Garbo disparut dans les rues de New York. L’icône suédoise offrant à ses admirateurs le spectacle d’un fantôme que, parfois, on croisait dans ses promenades. Ainsi en va-t-il des églises de Venise : on décide un jour de les soustraite à la vie publique, on tourne la clé dans la serrure, on l’accroche au trousseau du bedeau et la messe est dite. Jean-Paul Kauffmann s’est installé à Venise avec le projet de se faire ouvrir les portes des nombreuses églises désaffectées. Depuis la Giudecca où il établit son quartier général, il prend d’assaut les influents prélats qui – seuls – disposent du droit d’ouvrir les portes closes.

À qui aurait face à ce livre l’espoir de feuilleter un compendium des merveilles secrètes de la célèbre île flottante, il convient de dire que si ç’en était le projet, il n’en fut finalement pas question. Les portes ne s’étant pas ouvertes (ou s’étant longtemps obstinées à préserver le sommeil de leur mécanismes rouillés), Kauffmann s’est attaché à écrire son grand roman de l’échec, prouvant qu’à Venise les meilleurs promenades sont celles qui n’ont pas de but.

Aux Frari, l’auteur note que le monument gigantesque et absurde dédié à Canova recèle dans son marbre une porte factice. Une porte qui ne donne sur rien. Qui n’est qu’une allégorie, tout au plus. C’est la poétique de la porte close : tant qu’elle n’a pas cédé, il est permis de fantasmer ses mystères et – chemin faisant – de les exagérer. Au contraire, les ouvrir c’est accepter le délabrement, la ruine. C’est humer l’odeur de salpêtre à pleines narines.

Si l’idée est pleine de charme, on s’agace de l’immobilisme du livre, des trépignements inopérants de son auteur, qu’on rêverait plus aventurier, plus transgressif dans son enquête. On comprend bien-sûr qu’il s’accommode volontiers de toutes ces portes closes. La preuve : c’est au moment où elles s’ouvrent enfin qu’il décide d’apposer un point final à son projet. On goûte donc un peu de la langueur vénitienne, avec l’envie franche de voir le vaporetto s’emballer de temps en temps.

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