Il est des circonstances dans la vie où on ne sait pas trop quoi faire. Petit, au restaurant, face à une rangée de trois fourchettes, nous nous demandions – un peu éberlués – laquelle servirait à faire un sort à chacun des mets et s’il ne serait pas plus simple, finalement, de n’en utiliser qu’une seule pour la terrine de caille aux cuberdons, le hareng mariné à la Suze, le roquefort de chèvre et les pommes caramélisées à la cyprine de truie.
La vie sociale est faite tout entière de mystères et de codes dont l’existence ne sert finalement qu’à distinguer plus rapidement le rustre de l’esthète. Heureusement, la baronne Staffe, eut un jour l’idée de rédiger un épais volume pour accompagner les jeunes ménages dans leurs aventures sociales, les éclairant sur les points les plus impénétrables de la vie en société. Ainsi savent-ils grâce à elle que les asperges se mangent avec les doigts et que les pommes caramélisées à la cyprine de truie ne se mangent sous aucun prétexte car une maîtresse de maison digne de ce nom se refuserait à servir un tel plat.

Il est donc regrettable qu’un tel manuel n’existe pas pour accompagner le jeune musicien dans ses premières années de carrière. Un chapitre essentiel pourrait, par exemple, s’intituler « comment se bien tenir quand le baron van Liesebeth vous élève au rang de premier lauréat du Concours Reine Elisabeth ». Car, en la matière, on a vu des choses terribles et effrayantes qui nous ont à jamais passé l’envie d’assister aux concerts des lauréats les plus gauches.
Bien sûr, il y la candidate distraite qui, croyant entendre son nom, se rue sur scène les bras en l’air, fond en larmes, remercie une demi-douzaine de divinités œcuméniques avant de se rendre compte qu’elle n’est en fait pas du tout la personne qu’on attendait et quitte la scène penaude et triste, sous les regards de deux mille deux cents terriens interdits de stupeur. Ca, par exemple, ce n’est pas cool.
Il y a aussi l’exemple de Pierre-Alain Volondat qui, lui, se lève un peu avant que son nom soit prononcé, avance sur scene avec la solennité d’une geisha narcoleptique puis s’incline devant la salle comme s’il avait devant lui le Sar Péladan en personne, arborant ce petit sourire désespéré qu’on adopte quand l’administration fiscale nous annonce notre éligibilité à un redressement d’un demi million de livres sterling.


Enfin, à la Garden Party du baron Huygebaert, President du CMIREB, si on vous sert des pommes caramélisées à la cyprine de truie, feignez l’évanouissement glycémique et faites vous porter en civière dans votre famille d’accueil où, enfin, vous pourrez redevenir un être humain comme les autres.