En ce sens, l’illustre pianiste britannique n’a pas totalement tort vu que – rien que cette session – je l’ai utilisée environ sept fois, cette citation, sur trois média différents avec à chaque fois le même sentiment un peu penaud de recycler toujours la même recette, comme quand un matin de cuite vous tombiez à la télévision sur un épisode de Derrick dont, à force de rediffusion, vous connaissiez la trame à l’endroit et à l’envers et en langue vernaculaire.

Surtout, ce qu’il convient de retenir, c’est que cette phrase de Bela Bartok est un peu idiote. Car au nom de quoi les concours conviendraient-ils moins aux artistes qu’aux chevaux ? Est-il moins noble d’être cheval qu’artiste ? Le débat est peut-être un peu trop vaste de si grand matin mais quand on les voit, ces pauvres bêtes, écumant sous les coups de cravache, apparaissant presque démantibulées par l’effort sur le Derby d’Epsom de Géricault, la bave aux lèvres et l’œil fou, on se dit qu’elles seraient bien restées une petite heure de plus aux champs, à brouter aimablement des pâquerettes sous le ciel clément du mois de mai, plutôt que de courir sans but, la bride au collet, avec sur le dos un jockey nain et furibond qui leur houspille les flancs de ses éperons. Croyez-le bien, le cheval se contrefout des concours et si justement on l’y trouve, c’est parce que l’homme dans son éternelle bêtise, a vu de l’intérêt à faire courir en rond une dizaine de quadrupèdes affublés de patronymes consternants.
Les concours, n’en déplaise à Bela Bartok, sont justement affaire d’hommes et répondent à cette impulsion freudienne qui, dans la cour de récréation – profitant d’un instant d’inattention du pion – nous poussait à comparer la taille de nos organes génitaux avec nos petits camarades. C’est aussi simple que ça : l’homme entend consacrer une fraction considérable de son séjour terrestre à prouver qu’il vaut mieux que son voisin. Il pourrait, lui aussi, s’installer dans les herbes folles et profiter du beau temps en donnant des bisous à son ami le cheval, mais il n’en fait rien. L’homme invente toutes sortes de compétitions, parmi lesquelles les Jeux Olympiques, l’Euro de football – où bientôt triomphera Kevin De Bruyne – et le concours Reine Elisabeth – où bientôt triomphera Lukas Vondracek. Cette volonté de suprématie est telle que certains bipèdes, déjà gâtés du point de vue des honneurs, n’en ont pas assez et s’obstinent à en vouloir toujours plus. L’Empereur Néron, par exemple, participa aux jeux olympiques et triompha dans absolument toutes les disciplines, aidé probablement par des adversaires rétifs à l’idée de connaître la morsure des lions de l’arène.
Ainsi nos douze amis pianistes se mesurent-ils à leurs collègues depuis bientôt un mois dans l’espoir de décrocher, au bout de cet interminable triathlon, une parcelle de gloire. Gloire qui leur ouvrira les portes peu pérennes du succès terrestre, lequel brillera avec plus ou moins d’intensité avant que ce squelette dont nous sentons parfois la présence discrète sous notre peau, reprenne ses droits et nous constitue tout entiers, six pieds sous terre, où les vers et les lombrics feront de nous leur festin avec un appétit enfin égalitaire.
Tout cela est vrai. Reste qu’a chaque concours musical, de nombreux musiciens, et pas seulement des stakhanovistes de leur instrument, se soumettent volontairement aux délices masochistes d’une compétition. Bravant au passage, miasmes, toux, éternuements et autres angines qui hantent ces arènes. L’amour de la musique est aveugle (et sourd). Ceci dit, ne vous moquez pas de Derrick. Regardez les français : ils en sont privés et ça les rend fous. Enfin, détrompez-vous, six pieds sous terre, que l’on soit Bartok ou Tartempion, les vers et les lombrics connaissent la musique et se livrent une compétition féroce pour la moindre bidoche. Songez que ces sales bestioles n’ont pas épargné Mozart. C’est vous dire…
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J’espère, cher Camille, que vous plaisantez et ne mettez pas sur le même pied d’égalité Kevin De Bruyne et Lukas Vondracek : les pieds de l’un valent peut-être les mains de l’autre mais il me déplairait souverainement que le « désigné » vainqueur gagne comme ça, parce qu’on ne sait qui a décidé que c’était le grand favori. (Par contre, pour Kevin, y a pas photo, quoique j’ai un faible plus prononcé pour Dries Mertens – ça doit être une question de brocolis crochus).
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