Aujourd’hui, jour de réveillon.
L’occasion peut-être de rappeler que Noël, avec ses guirlandes et ses Pères Noël débonnaires, avec ses réveillons, et ses lumières sur la ville, Noël, est peut-être la plus nostalgique des fêtes. D’abord évidemment parce que personne n’est dupe de cette occasion qui voudrait que tout à coup, tout s’arrête et qu’on s’accorde à faire la fête, oubliant la pauvreté, la maladie, le réchauffement climatique et l’ensemble de nos petits problèmes prosaïques qui nous gâchent l’existence.
Noël, finalement, c’est un peu comme ces photos de mariage sur lesquelles il nous faut sourire – par crainte d’être indélicat – et sur lesquelles nous retombons des années plus tard avec dans la tête les malheurs insondables qui se cachaient pourtant derrière l’alignement radieux de ces trente-deux dents blanches offertes à la postérité.
La plus nostalgique des fêtes, aussi, en ce qu’elle est un rituel pérenne, répété d’année en année où finissent par manquer, un, deux, trois et puis plusieurs familiers ; fauchés par le temps et dont le souvenir s’imprime entre la bûche et le sapin. Noël, ce sont ces souvenirs d’enfance, que nous ne touchons plus même du bout des doigts et qui pourtant sont là et semblent nous observer.
C’est une confrontation nécessaire et inévitable à tous ces visages qui, eux aussi, souriaient et dont on date aujourd’hui, avec plus ou moins de précision – la dernière fois qu’on les a vus se resservir de champagne.
Noël, c’est la nativité. C’est le début d’une histoire dont on dira ce qu’on voudra mais qui a changé le cours du monde. Noël, c’est aussi cette fête qui n’appartient plus à personne et qui a beau être chrétienne – d’ascendance païenne, par le solstice d’hiver – aura trouvé sa place dans de nombreux foyers agnostiques, juifs et musulmans. En témoigne ce sapin qui m’a bien fait sourire hier, dans une famille juive, et qui se voyait coiffé d’une étoile de David. Car les religions ne sont jamais aussi belles que quand elles s’amalgament.
Noël c’est Dickens – chez nous, à la RTBF, c’est Viva for Life : plus de trois millions d’euros offerts aux enfants défavorisés par la seule et unique générosité de donateurs et de bénévoles. C’est pour chacun – peut-être ? – l’occasion de reconnecter avec ce qu’il y a de plus beau en nous, avec ce ‘nous primitif’, ce nous enfantin, auquel nous repensons – sur une luge ? – et dont l’innocente vision du monde et sa haute estime du genre humain réapparaît en un sursaut.
Comme tout nous semblait simple et beau quand nous nous endormions dans la voiture, nos cadeaux à la main et le regard de nos parents, posé sur nous comme un plaid, par le rétroviseur et qui nous protégeait de la laideur du monde.
En 1915, Claude Debussy fait pour Noël une chose insensée. La France, la Belgique, la Serbie ont été envahies par le Kaiser. Partout règnent la désolation et l’angoisse ; on craint la famine et on voit dans les villages des maisons brûler, laissant leurs habitants hagards observer dans les rues, sous une neige frigorifique, leur toit disparaître dans un tourbillon jaune et n’être plus que suie. Debussy compose le ‘Noël des enfants qui n’ont plus de maison’, une mélodie simple, d’accompagnement complexe dont il écrit lui-même le texte. Texte gauche, en vers hésitants, texte surprenant venant de ce génie musical, par ailleurs amateur de Mallarmé et de Maeterlinck qui a tenu ici à dire, dans ce style touchant de naïveté, son horreur de la guerre et de l’injustice.
Ce qui me semble beau, c’est que Debussy était suffisamment littéraire pour savoir qu’il n’était pas littérateur. Et qu’il abandonna cette pose glaciale du génie stratosphérique pour se montrer vulnérable et imparfait, comme si – par cette génuflexion d’écriture – il voulait tremper son credo d’humilité. Ce texte simple, venant d’un génie complexe, violemment cérébral, est probablement la seule fenêtre que Debussy autorisa à donner directement sur son cœur.