Quand on y réfléchit deux minutes, il existe peu d’ensembles qui utilisent le nom d’un plasticien comme raison sociale. J’avais il y a quelques années assisté aux débats des membres du futur ensemble Kheops sur le nom qu’ils entendaient donner à leur union musicale ; tout y était passé et pour finir c’est un Pharaon qui fut désigné. Un pharaon, pourquoi pas,… c’est mieux qu’un Pape ou qu’un ancien roi des belges. Imaginez : « L’Ensemble Innocent X vous propose une intégrale Pierre Boulez en La Chapelle des Dominicains de Maubeuge » ou encore « L’ensemble Léopold III sera en résidence au Festival de Stavelot pour une intégrale Jommelli commentée par Yoann Tardivel ». Non, vraiment, le pharaon, ca marche beaucoup mieux.
Il y eut aussi l’éphémère Trio Saint-Exupery qui célébra la passion de son violoniste, Lorenzo Gatto, pour la littérature et l’aviation. Plus classiquement, chez les quatuors à cordes, on verse volontiers dans le narcissisme décomplexé ; le quatuor à cordes de Thomas Zehetmair s’appelle le Quatuor Zehetmair, par exemple. Le quatuor Hagen porte le nom de trois de ses membres, ce qui fait sens, sauf pour le quatrième, qui du coup doit se sentir un peu seul. Comme le Quatuor Danel qui comptait jadis parmi ses membres deux Danel et qui désormais n’en compte plus qu’un, lequel pourrait alors être renversé par ses comparses et voir son patronyme disparaître des affiches pour l’éternité des siècles, ce qui serait terrible, surtout pour lui.
Donner à son ensemble le nom d’un peintre est une idée merveilleuse. Car tout de suite, nos imaginations brassent et amalgament joyeusement les informations musicales émanant des interprètes et l’évocation picturale directement liée à leur raison sociale. Voyez notre Quatuor Modigliani par exemple, dans Dvorak, dans ce pantagruélique quatuor, tout américain et voyez en filigrane l’ombre d’Amedeo qui s’y mêle, le visage oblong de ses modèles, leurs doigts interminables, qu’on imagine tenant un alto ou faisant des pizz’. On projette sur l’élément auditif ce qui notre cerveau retient des toiles du peintre. Mais ça peut avoir ses risques, car un Trio Caravaggio par exemple – peintre du délit, du sang et de la chair – pourrait difficilement jouer une musique simplement aimable, ou galante. Des collusions historiques pourraient aussi voir le jour, imaginerait-on par exemple un Duo Otto Dix, peintre dégénéré et persécuté – interprétant la sonate de Richard Strauss, associé aux artistes nationaux socialistes ?
Si on aime tant les Modigliani, finalement, c’est parce qu’ils ont l’élégance étrange de leur saint patron ; qu’on retrouve – ou projette ? – dans leur musique ces couleurs éteintes et flétries, ces mines singulières et jamais inquiétantes, ces cravates noires et fines comme un ruban de deuil, ces visages de femmes, enfin, presque toujours tournés vers la droite, comme si leurs nuques attendaient le baiser d’un violon.
Chronique du 1er décembre 2015 sur Musiq’3 – RTBF