Dans Mary Poppins, le célèbre film de Robert Stevenson avec July Andrews et le désopilant Dick van Dyke, une scène a récemment frappé mon attention. Il s’agit de la première escapade du ramoneur, de Mary et des enfants dans le monde imaginaire. Paysage champêtre — veston rayé pour monsieur, ombrelle pour madame — un petit pont sous lequel s’ébroue un cours d’eau, des arbres à la gouache, les enfants sont heureux et tous chantent. La rivière enjambée, Mary et son entourage se retrouvent à la ferme ; là les animaux se réunissent autour d’eux et participent à la liesse générale en entonnant un couplet chacun. Le gros cochon tout rose, avec son oeil coquin, la poule hirsute, le cheval goguenard, les oies, les petits moutons — tous chantent. Un enfant, qui était sur mes genoux, s’amusait à nommer chacun des animaux.
– Oh, cochon !
– Oui, un cochon.
– Oh, vache !
– Oui, une vache !
Puis, la fonction avérée des animaux de ferme m’apparut en une épiphanie. Le cochon, qui chante là, c’est au fond une saucisse en devenir. Dois-je en informer mon petit compagnon qui gatouille ? Et la poule, si joviale, sait-il qu’on va la ranger dans une batterie, lui couper le bec et lui arracher les oeufs du cul avec des tenailles ? Le cheval, trop vieux, traîné aux abattoirs, sa viande rance de bête usée broyée à l’usage des chats et ses os servant de base gélatineuse à de délicieux déserts ?
Pourtant, tous chantent, et mon petit ami bat des mains. Preuve qu’il est préférable, quoi qu’on en dise, d’aborder l’univers de Disney par le truchement d’une lecture bornée, au premier degré et — si possible — infantilisante. Les cochons n’en seraient pas moins saucisse, mais l’allégresse n’en pâtirait pas.