Je suis hypocondriaque depuis que j’ai 17 ans.
Un jour, revenant de l’école pour déjeuner à la maison, je vis au journal télévisé un reportage sur la méningite. Le soir, bien que ne souffrant d’aucun mal de tête, ni de raideur de la nuque, ni même de photophobie, je me persuadai — pris d’une panique réelle — que j’étais atteint de cette terrible maladie. Le lendemain, toujours en forme, frappé d’aucun symptôme, pas même le commencement d’un toute petit fébricule, je me précipitai ventre à terre chez mon médecin qui m’écouta, m’examina et me rassura.
Depuis, chaque matin, je me réveille, j’observe mon corps et à l’occasion d’un tressautement, d’une douleur sourde ou d’un battement de coeur légèrement arythmique, je me persuade de l’imminence de mon trépas. Cette obsession, que rien n’arrête, est évidemment très drôle à suivre vu de l’extérieur. De l’intérieur aussi, dans une certaine mesure. Il m’est fréquemment arrivé d’être atteint de maladies orphelines imaginaires. Des maladies dont l’incidence et la prévalence sont tellement faiblardes, qu’elles tiennent à peine sur leurs jambes. Dans tous les cas, le tableau clinique était effrayant : souffrance, invalidité, gâtisme, incontinence multiorificielle, purulence vivace, démembrement à vif par résection nécrotique ou leucopénie galopante à flagelles cuivrées (la pire!)
Or il est tout de même extraordinaire que l’hypocondriaque ne s’invente jamais de maladie parfaitement bénigne. Jamais, par exemple, ne me suis-je inventé le moindre rhume. Jamais n’ai-je traqué les symptômes inoffensifs de l’entorse du mollet ou de l’éternuement hivernal. Preuve que, même dans nos maladies mentales, on ne s’accommode que de ce qu’il y a de plus fameux.