J’ai toujours cru en une forme de gradation de la colère. D’un crescendo organisé partant de l’irritation la plus anodine et s’achevant sur la folie meurtrière. Au départ, un froncement de sourcil, à l’arrivée, des yeux injectés de sang qui crient vengeance.
J’étais ce dimanche installé dans mon canapé, un chat sur l’abdomen et un livre en main. Le poing d’un voisin heurte la porte, insiste ; on lui ouvre. L’affaire semblait grave : les chats –nos chats- attaquent les oiseaux. Oui ? Or les oiseaux participent au bien-être général dudit voisin. Pour lui, qu’un matou, gras et peu habile chasse un oiseau, ce n’est pas possible, nous devons agir sans délai. Moi, dans mon fauteuil, encore un peu assoupi, forcément, j’écoute sans trop m’énerver, le récit de ce dégénéré. Je me dis qu’il fait bien, de critiquer mon chat carnivore, qui ne répond au fond qu’à son instinct séculaire. Lui, le voisin, son steak, il ne le chasse pas, mais au bout de sa fourchette, il y a quand même une vache qui a hululé son dernier « mheu » avec un peu moins de conviction que d’habitude. Toujours est-il que je me lève pour prendre les choses en main. Pour énerver l’individu, je lui demande s’il plaisante, s’il est venu nous faire une blague. Or ce que je modèle soigneusement comme une gentille provocation un brin retorse a sur l’illuminé un effet des plus étranges : la moutarde lui monte au nez et au lieu de me couvrir de propos aigrelets et de quitter mon séjour en vilipendant le pédé urbain et sa ribambelle de chats, il se contente de me demander si je désire qu’il me tue.
Là, je trouve que les conventions ont été bafoués. On ne peut pas, sans crier gare, passer de l’agacement à la menace de mort, ça ne repose sur aucun schéma classique. Comment réagir dans ces cas là ? Il y a le haussement d’épaules, lesquelles pourraient très bien se ramasser un coup de couteau, si l’individu a vraiment passé une mauvaise journée. Il y a aussi la surenchère « tu veux me tuer ? Ben moi je vais te tuer ta mère et ta grand-mère », qui pourra, selon les cas, détendre l’atmosphère par la badinerie de la tonalité ou l’envenimer pour des raisons analogues.
Rapidement, la police fut évoquée, un dépôt de plainte pour menaces de mort aggravée, et ce genre de choses quoi, qui lui clouèrent le bec. Toujours est-il qu’en ville, un chat devrait avoir le droit de chasser la mésange sans que cela mette ses propriétaires dans l’embarras…