Erwin Schulhoff, un art absolu qui tend vers la révolution permanente

Nous commémorions cette semaine le septantième anniversaire de la libération des camps de la mort, l’occasion – pour nous – de consacrer et de dédier la Table d’écoute du dimanche 2 février 2015 à l’un des nombreux artistes victimes de l’indicible. Ils sont innombrables à s’être glissés dans le pyjama rayé des camps, nombreux à s’être lentement éteints – inconscients peut-être – que leur musique, elle, survivrait à tout cela et ferait plus tard office de stèle immatérielle, à leur propre mémoire et à la mémoire des millions de muets tombés à leurs côtés.

Ce dimanche, c’est à un homme infiniment attachant que nous nous intéresserons : Erwin Schulhoff, né en 1894 et décédé en 1942 au camp de Wülzburg où la tuberculose vint à bout de ses ultimes forces en plein cœur du mois d’août.

Schulhoff, compositeur tchèque, eut le tort d’être juif, d’être avant-gardiste et d’être communiste – trinité odieuse aux yeux des nazis qui – par Goebbels et par Rosenberg – avaient dessiné les contours d’une musique aryenne absolument hostile à toute extravagance. Ceux qui s’écartèrent du dogme furent muselés – au mieux – exilés parfois, exterminés enfin – on les appela les compositeurs dégénérés.

C’est pourtant Antonin Dvorak, romantique échevelé, qui fut le premier à remarquer les dons du petit Erwin et à les encourager alors qu’il n’avait même pas dix ans. Il passe entre les mains de nombreux maîtres et s’imbibe de toutes les influences, il côtoie Debussy, Janacek, les Dada – tous marqueront son œuvre d’une manière ou d’une autre, mais aucun ne parviendra à le capturer tout entier.

L’ironie du sort veut qu’il finisse sur le front de la grande guerre où il sert avec courage les territoires qui -plus tard- extermineront leur propre vétéran. Blessé, il finit dans un camp, où il reprend des forces. Quand il sort des infirmeries éthérées et lourdes de hurlements et du bruit des scies sur les os, sa liberté l’invite à virevolter, il se passionne pour le jazz et entend bien marier la grammaire classique à cette grammaire nouvelle, largement diabolisée, car nègre et donc dégénérée. Raccourci qui stupéfie nos oreilles contemporaines et qui rappelle, dans une autre logique, ce qu’Umberto Ecco faisait dire au franciscain Ubertin de Casale à propos d’un jeune moine : « il y avait dans son regard quelque chose d’efféminé et donc de diabolique ».

La pièce qui nous occupe ce dimanche est une sorte de réjouissant fourre-tout, c’est – à l’échelle de la cosmétique – l’équivalent du sac à main d’une dame : on y trouve tout, dans tous les sens, sans jamais finalement y trouver rien et on prend plaisir à en inventorier les artefacts comme dans un cabinet de curiosités qui sentirait le patchouli. Son titre, pourtant est parfaitement sobre : Cinq pièces pour quatuor à cordes.

Schulhoff qui souhaitait que l’art absolu tende vers un état de révolution permanente, avait trop de charme et d’humour pour s’inscrire réellement dans une lutte esthétique. Laquelle l’aurait poussé à l’oukase et à l’excommunication. Il était au contraire l’anti-dogmatique étalon, le nonchalant génie qui se laisse emporter avec grâce par les eaux clapotantes et kaléidoscopiques des courants musicaux des années 20. C’est un peu ce que soulignera Olin Downes, critique du New York Times à propos de nos ces cinq pièces : « Souplement élancées et techniquement admirables. L’œuvre d’un jeune compositeur face à un auditoire ravi d’avoir découvert un créateur dont la moindre des qualités n’est pas de se prendre trop au sérieux. »

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