J’ai toujours envié ces vieux historiens de l’art, généralement britanniques, en veste d’explorateur, qui se promènent dans les Musées une guide à la main et pointent les œuvres en s’écriant « How very flabbergasting ! » après avoir identifié un Saint-Jérôme grâce à sa pourpre qui baigne dans l’encrier.
À chaque Saint, ses attributs picturaux. Un enfant reconnaîtrait Saint-Sébastien aux flèches qui transpercent son pauvre corps, Paul de Tarse est souvent représenté chauve, ou censément dégarni (car, visiblement, il l’était), on voit Saint-Laurent sur le grill où l’installèrent ces chenapans de romains. Sainte-Lucie est placée au milieu de flammes qui ne la brûlent pas (Santa Inifugata), Pierre – c’est un classique – tient les clés du Paradis entre ses mains replètes, quant à Saint-Jean-Baptiste, on le reconnaît aisément au fait que sa tête est généralement représentée sans son corps, tête dont disposa Salomé suite au pacte odieux qu’elle conclut avec Hérode.
Mon Saint préféré, c’est Saint-Jérôme. L’historien de la chrétienté, représenté plume à la main, penché sur un épais manuscrit et griffonnant des paroles définitives qui font encore débat et qui coûtèrent la vie à pas mal d’exégètes audacieux. Il y a quelques années, Klaus Michael Gruber qui montait Boris Godounov à La Monnaie, avait représenté Pimène – le moine historien – en Saint-Jérôme. C’était rudement bien vu de sa part. Posé sur un petit guéridon se trouve un memento mori, crâne humain fréquemment édenté qui rappelle au spectateur la brièveté de la vie. Mais l’attribut pictural le plus remarquable de Saint-Jérôme, c’est son lion. Les écritures entretiennent des rapports mi-figue mi-raisin avec le galant quadrupède. Dieu est appelé à sauver les siens des lions de l’arène, sa sournoiserie est pointée car sa queue en forme de balayette efface ses traces alors même qu’il s’ébroue, mais en même temps il est précisé que ses yeux sont les seuls capables, avec ceux de l’aigle, de regarder le soleil en face. Et ça, c’est classe.
Qu’en est-il du lion de Saint-Jérôme ? Il faut se figurer la vie cénobitique du grand Saint, claquemuré dans un silence total, parmi les jeunes moines – lui-même muet et plus ou moins bougon depuis soixante-dix-huit ans, perdu au milieu du désert aride de la Palestine. Rossant tout qui perturbe ses austères travaux, Jérôme aime à se promener seul, le pied nu enfoncé dans les sables torrides. Sous un arbre, il voit un lion tout à fait cacochyme qui lèche sa pauvre patte d’un air désolé. Une épine est venue se loger dans son délicat coussinet et Jérôme entreprend de le soigner, de le transporter sur ses vieilles vertèbres jusqu’au monastère et de l’y dorloter. S’en suit une scabreuse histoire d’âne prétendument dévoré par le lion, lequel sera chassé puis reviendra avec la preuve éclatante de son innocence. Expliquer comment un lion put se dédouaner auprès de moines du meurtre d’un âne serait un peu trop ambitieux à ce stade.
Voilà donc notre bon Jérôme, représenté par la plupart des peintres avec ses quatre éléments iconographiques habituels : la pourpre de cardinal, le memento mori, la plume et le lion.
Au Musée des Beaux-Arts de Vienne, je suis resté figé un bon quart d’heure face au très beau Jérôme de Christopher Paudiss (1618-1666), toile remarquable qui ose la surenchère en terme de memento mori : le crâne est flanqué d’un sablier, rappelant à qui l’aurait oublié que la mort est toujours dans les parages, avec une batte de baseball, comme Joe Pesci dans Les Affranchis. Le corps du Saint est sculptural et sa cellule monacale semble tapissée d’un épais vélin orné d’oisillons que ne désavouerait pas une douairière du Sussex. Il m’aura fallu quinze minutes pour trouver le lion. Depuis, je me promène avec une représentation de cette toile sur mon i-Pad et je m’amuse à demander à mes amis s’ils y trouvent le lion. Certains le voient et sursautent d’épouvante face à son œil terrible tapi dans l’obscurité. D’autres, étrangement, semblent ne jamais le trouver.