01. Caballé dans le finale de Don Carlo
Surnommée « La Furbissima » par les mélomanes milanais, Montserrat Caballé s’est illustrée tout au long de sa carrière par une propension militante à faire le moins d’efforts possibles sur scène. Registre aigu limité, timides appoggiatures, engagement scénique minimaliste ; clairement, la diva catalane a tout misé sur un timbre de miel et sur une faculté proprement démentielle à distiller des notes filées censément extatiques (sans compter sa personnalité débonnaire de Mamy qui donne des bisous qui piquent). Seulement – parfois – la nonchalante matrone bouffait du lion et des barres protéinées. Ainsi, ce beau soir d’avril 1972 au Met. Franco Corelli peine à trouver ses marques dans un rôle dont il connaît pourtant tous les recoins ; arrive le finale où l’Infant est tiré du monde des vivants par une incarnation spectrale de son grand père Charles-Quint et où la Reine – ébaubie – pousse un aigu terrible censé marquer sa stupéfaction. Il faut dire, à sa décharge, que non seulement son amoureux disparaît sous ses yeux, mais qu’il est enlevé par le fantôme d’un homme qui, tout de même, a été peint par Le Titien. L’aigu de Caballé semble interminable. La foule exulte.
02. L’ingénierie musicale de Rockwell Blake
Ce qui rend le ténor américain si attachant, c’est qu’il a toujours été très conscient de l’incongruité de ses moyens. Son timbre est laid, nasillard, blanc et, curieusement, il tend à s’érailler dans le grave. Par contre, sa technique – elle – est absolument sans limite. Un peu comme si, chez les pianistes, le son si terne du jeune Brendel avait épousé la technique apollinienne de Michelangeli. Avant d’accepter un rôle – au lieu de se borner à réfléchir s’il état capable ou non de le chanter – Blake examinait attentivement ce qui dans la partition lui permettrait d’être véritablement époustouflant. On pourrait s’agacer d’une telle coquetterie, mais on est ici dans le belcanto romantique où l’orthodoxie occupe une place aussi importante que les oeuvres complètes d’Immanuel Kant dans la bibliothèque d’un lanceur de poids Sud-Coréen. Ainsi cet air de l’Occasione fa il Ladro. Un simple aigu conclusif alors que l’orchestre joue decrescendo puis termine par une charge vrombissante. Blake se dit qu’il serait épatant de lancer son aigu – tonitruant – de descendre sur le fil de la voix parallèlement au decrescendo de l’orchestre puis, sur la charge finale, de remonter à pleine puissance. On essaie encore de l’imiter dans les écoles, mais sans grand succès.
03. Maria Callas qui tutoie Eschyle
On dit que pour la Côte-Rôtie, 1955 fut une excellente année. Maria Callas, cette année-là – sans les arômes de banane et de mûre de Cayenne – n’était pas mal non plus. Ce trio conclusif du premier acte de Norma – réunissant la Divina, le ténébreux Mario Del Monaco et l’orageuse Giulietta Simionato – est probablement la page d’opéra enregistrée la plus digne d’être vénérée par une lyricomane bagué et roucoulant. Leyla Gencer avait raison de dire qu’on trouvait dans la voix de Maria Callas l’héritage des tragédiens grecs, ce que Visconti identifiait – lui – dans son geste, dans l’utilisation minimaliste de ses interminables doigts, qu’elle posait sur son buste ou contre sa joue et qui avaient valeur de sentence. Dans ce trio, il y a ce contre-ut surnaturel improvisé par Callas dont le dramaturge Terrence McNally parle avec une extase suspecte et presque salissante dans la pièce Master Class. Ce qui est surtout frappant chez cette Callas là, c’est son assise dans le grave, ce socle terrien d’une épaisseur incongrue, cet accent particulier qui confère à la tragédienne une autorité que chercherait vainement le plus viril, le plus terrible des rois. Enfin, il y a ce swing, cette manière d’échapper brièvement à la ligne, dans un déhanché de panthère, qui impose sa domination absolue à tous les éléments qui l’entourent. Un manifeste, en somme, qui relativiserait la notion-même de virilité au profit d’un féminin triomphant.
04. La cascade de Luciano Pavarotti
Les voix légendaires ont ceci de particulier qu’on aime faire circuler sur elles des histoires cocasses. Luciano Pavarotti qui était un très brave homme, au sens le plus noble du terme, se sera contenté de voyager partout avec son cuisinier préféré et d’organiser des concerts pachydermiques aux allures de rassemblement des JMJ. Sa condition physique, hélas, n’était pas optimale et on raconte qu’à la fin de sa longue carrière, pour passer de cour à jardin, une voiturette de golf l’attendait en coulisse. Ainsi le voyait-on lancer au baryton « bouge pas toi, je vais te faire la peau », sortir de scène et apparaître miraculeusement de l’autre côté, le sabre à la main et l’écume aux lèvres. À deux reprises cependant le surprit-on à effectuer une cascade. D’abord, dans l’inoubliable film « Yes, Giorgio » où Pavarotti joue le rôle d’un ténor italien qui perd sa voix et qui tombe amoureux de la blonde américaine chargée de sa rééducation. Le dialogue de la chambre à coucher reste célèbre :
– Pamela, you have to swear you will never fall in love with Giorgio.
– Yes, Giorgio (soupir).
Dans une longue séquence, Giorgio et Pamela survolent les paysages de Calabre dans la nacelle branlante d’une montgolfière. Une musique subtile de John Williams souligne la passion naissante entre les protagonistes. Voici la cascade : la montgolfière atterrit, Giorgio / Pavarotti entame un ample mouvement de jambe qui lui permettra de sortir d’un bond de cabri (coupure, plan suivant 🙂 Giorgio est sorti de la montgolfière, alerte et souriant.
Moins soft, la scène du cheval dans le Rigoletto de Ponnelle. Alors que Pavarotti vient de chanter un long duo d’amour avec Edita Gruberova (coiffée à cette occasion d’une perruque qui, jadis, a dû servir de rideau de douche à l’Inspecteur Derrick), Luciano doit prendre la fuite. Le voilà donc qui, du haut du balcon siffle son cheval et ajuste son saut en fixant sa monture qui sue à grosses gouttes (coupure, plan suivant 🙂 Pavarotti galope gaiement dans la campagne de Mantoue. Après, on relativise un peu les prétendues prouesses de Tom Cruise dans le dernier Mission Impossible.
Pour le quatriēme extrait, j’ai l’impression que c’est plutôt la Californie que la Calabre…
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