C’est en buvant un café avec Bruno Letort – nouveau directeur du Festival Ars Musica et producteur à France Culture – que je me suis demandé si j’avais une voix de radio. Les impressionnantes harmoniques graves de Bruno, ce velours épais et nocturne qui coule tranquillement de sa gorge m’ont un peu complexé. Sur le trottoir, en sortant, j’essayais de l’imiter, en collant mon menton à ma glotte pour parler plus grave « Salut, je suis Bruno Letort… Mesdames, Messieurs, bonsoir, je suis Bruno Lerort ». Résultat des courses, j’ai eu mal à la gorge pendant des heures.
Mon collègue Pascal Goffaux à Musiq’3 est un autre bel exemple. Il faut le voir arriver de grand matin, à son micro, avec un air de lit défait, la marque de l’oreiller encore imprimée sur sa joue droite (je sais donc quel côté du lit il occupe) et parler d’une belle voix primesautière de telle exposition d’arte povera ou de tel film cubain retraçant la vie d’une oculiste frigide, amoureuse d’un prêtre bénédictin exerçant clandestinement l’art du bénitier et du goupillon. La voix de Pascal semble sortir de nulle part, épaisse et légère, strictement diaphragmale. Un sourire l’occupe généralement, sauf quand il se fait grave. C’est un homme de radio en ce sens qu’il sait comment parler individuellement à l’auditeur, il exècre la communication de masse – sorte de paradoxe anapurnesque quand on s’adresse à des milliers d’anonymes. Paradoxe résolu, en ce qui le concerne.
Olivier Germain Thomas qui exerçait jadis sur France Culture et qui nous a gâtés d’ouvrages d’enluminure spirituelle qui sentent le safran possède probablement la plus belle voix de radio jamais mise en ondes. Je serais incapable de la décrire, mais l’entendre me calme. Cet été, alors que je battais en solitaire le sentier reliant des monastères orthodoxes cachés dans les montagnes, une émission à laquelle il participait me servait de compagne. Chacune de ses interventions était délice. Baryton-martin, chambriste délicat, sa voix a l’importance de la ligne de violoncelle dans le quatuor à cordes et sa bienveillante discrétion aussi. Son pendant féminin serait sans doute Josyane Savigneau – dont il serait urgent d’exploiter les talents en radio – avec une plastique vocale envoûtante et un débit d’une assurance enchanteresse.
A contrario, la voix de Jérôme Garcin est rauque. J’ai longtemps écouté Le Masque sans savoir à quoi ressemblait son producteur. Je m’imaginais un quinquagénaire tabagique, vaguement crasseux, se complaisant dans une nonchalance d’artiste. C’est en réalité un dandy qui porte beau. Il a dans son bureau une bougie parfumée de chez Dyptique®, s’habille comme un gentleman-farmer et quand on l’interroge sur sa voix, la trouve fatiguée et usée. Il y a pourtant quelque chose d’idéal dans ses blessures vocales, quelque chose qui sied presque parfaitement à l’exercice du Masque. L’acteur Alec Baldwin qui anime désormais un talk-shaw nocturne sur la radio new-yorkaise s’installe, lui aussi, dans une émission vocale fatiguée, lente et plastique.
Faut-il avoir une voix de radio pour faire de la radio ? Il n’est après tout pas impératif d’avoir un beau timbre pour chanter à l’opéra, Maria Callas, Rockwell Blake et Waltraud Meier en savent quelque chose. Alfred Brendel, pianiste immense, a-t-il un beau son ? Ron Jeremy, l’acteur débonnaire de plus de 2000 films pour adultes qui n’a pas un physique de jeune premier ni un sexe de taille impressionnante répond finalement assez bien au débat : « ce n’est pas la qualité de l’organe, vous savez, c’est ce qu’on en fait ». Voilà, Ron.